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Récits bretons du comte d’Amezeuil 1863
Charles Alcloque, dit «comte d’Amezeuil», a séjourné, pendant une courte période, dans la maison du Haut-Verger à Nivillac. Dans son ouvrage « Récits bretons et légendes bretonnes », il évoque une rencontre faite à Muzillac : « Le jour où nous arrivâmes à Muzillac nous trouvâmes toute la ville sur pied et nous perçûmes de loin les sons du biniou, cet instrument qui, tout primitif qu’il est, trouve encore le moyen de donner des fourmis aux jeunes jambes des gars et surtout des filles. On célébrait les noces de Mariannic Rival et Pierre-René Guéric, deux beaux enfants, bien heureux d’être au monde… Au moment où nous entrions dans le cabaret toute la noce débouchait sur la place, précédée par les binious et le hautbois. Je me trouvais donc dans ce café de Muzillac, avec un de mes amis, venu de Paris, pour étudier quelques sites de notre Bretagne ; pendant que nous vidions modestement un pichet de cidre, je vis un paysan, qu’à son costume je reconnus pour être d’Ambon, venir prendre place à nos côtés. C’était un superbe garçon , de vingt-cinq à vingt-six ans aux traits fins et distingués, à la taille athlétique, en un mot type parfait de cette belle race qu’on rencontre sur les côtes. – La superbe tête ! me dit mon ami, et quel beau modèle on aurait là ! – Peronnick est le plus beau gars d’Ambon. – Tu le connais? – Je l’ai quelquefois rencontré aux foires de Muzillac. – Eh bien, rends-moi donc un service ; prie-le de poser quelques minutes, pour que je puisse prendre son profil. – Demande-le-lui toi-même . Mon ami se leva, et s’approchant du gars, lui fit sa demande. Mais, ce à quoi je m’attendais fort bien, le paysan se contenta de répondre : – Na pregomb quet Gallec. — Nous ne parlons pas français. Le peintre me regarda, et croyant sans doute avoir mal entendu, recommença sa demande. – Na pregomb quet Gallec, répondit encore le gars toujours impassible. – Ah çà ! que me chante-t-il donc?
- Il te dit qu’il ne parle pas français. – Eh bien ! C’est amusant. Que faire alors ? – Invite-le à vider un pichet avec toi. – La belle avance, s’il me répond, encore : Na pregomb quet Gallec. – Essaie toujours. – Monsieur, voulez-vous accepter un verre de cidre? demanda-t-il en s’inclinant. Le paysan partit d’un éclat de rire à faire trembler une cathédrale, et mon ami tout interloqué, le regardait sans trop savoir s’il devait rire ou se fâcher. – Butor! dit-il tout-à-coup, en venant se rasseoir. Je riais moi-même de la grimace qu’il faisait et surtout du motif qui avait provoqué l’impolitesse du paysan. – Ah çà ! me dit-il, ce rustre m’insulte, et tu ris aussi. – Parbleu, il y a de quoi. – Qu’ai-je donc dit de si risible ? – Mon pauvre ami, tu l’as tout simplement appelé monsieur, et il a pensé que tu voulais te moquer de lui. – Moi ? dit-il avec un air étonné. – Certainement, toi si tu veux te faire bien voir d’un paysan, appelle-le mon ami, mais ne lui dis jamais monsieur, c’est presque une injure. D’ailleurs je vais raccommoder la chose et tu verras que Perronick est un charmant garçon . – Perronick, lui dis-je en breton, pourquoi donc refusestu de vider un pichet ? Le gars se tourna vers moi et se levant aussitôt vint me tendre la main et nous saluer fort poliment en disant en bon français : – Journée heureuse à vous, mes maîtres. – Tiens, voilà qu’il parle français! s’écria mon ami. – Comme toi et moi. – Mais alors pourquoi?… – Pardine ! s’écria le gars, c’est que vous êtes un étranger, et que je ne vous connais pas. – Ah! Et c’est pour ça que vous avez ri ? – D’abord parce que je vous faisais poser, et ensuite parce que vous me donniez du monsieur comme à un bourgeois de la ville. – Êtes-vous assez drôle avec vos idées. – Dame, c’est comme ça chez nous. – Singulier pays ! – A votre santé, mes maîtres ; et maintenant que la connaissance est faite, monsieur de Paris, car je vois que vous en êtes un, si vous venez à Ambon, venez me voir, et je vous ferai goûter du cidre qui n’est point failli [mauvais] comme celui-ci.»
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